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xxi
DE LA DOCTRINE DU DROIT.


usage sans mon consentement qu’en me lésant moi-même 1[1].

Possession du mien et du tien extérieurs en général.


Il y a, on l’a vu plus haut, un mien et un tien intérieurs : nous n’avons plus à nous en occuper ; mais il y a aussi un mien et un tien extérieurs, et c’est là pour Kant le texte de la théorie du droit privé. Le mien et le tien sont extérieurs, lorsqu’ils s’appliquent à des objets distincts du sujet, je ne dis pas placés dans un autre lieu, car la condition d’espace ne fait rien ici et l’on va voir qu’il en faut pouvoir faire complètement abstraction. Qu’ils occupent le même lieu que moi dans l’espace ou qu’ils soient placés dans un autre, dès qu’ils se distinguent de moi, ils se distinguent du mien et du tien intérieurs. Mais ai-je en effet le droit de déclarer miens les objets extérieurs que je puis choisir et employer pour mon usage ? Sans doute, pourvu que cet exercice de ma liberté ne porte pas atteinte au principe de l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous. Sous cette condition, qui est le principe même du droit en général, mon droit à cet égard est évident. Il serait en effet contradictoire de le nier : ce serait dire que des choses faites pour être utiles et n’appartenant à personne doivent rester sans usage et sans maître, bien qu’en les prenant pour miennes ma liberté extérieure pût s’accorder avec celle d’autrui, suivant une loi générale. Tout ce que l’on peut exiger de moi dans l’usage extérieur de ma liberté, c’est que je ne porte point atteinte à la liberté extérieure d’autrui, en tant qu’elle-même s’exerce suivant la loi générale ; me défendre en outre de l’appliquer aux objets extérieurs, pour les faire miens et en user à ce titre, serait contraire à cette liberté même et à la loi qui la règle, par conséquent au droit.

Postulat juridique de la raison pratique.


C’est pourquoi Kant considère comme un postulat juridique de la raison pratique 2[2], c’est-à-dire comme une supposition requise à priori par la raison pratique au nom de l’idée du droit, la possibilité de déclarer mien un objet extérieur quelconque, tombant sous ma liberté. On peut en-

    à la division qu’il établit lui-même dans la morale, que l’idée du devoir est plus large que celle du droit, puisqu’il distingue des devoirs de droit les devoirs de vertu, c’est-à-dire les devoirs placés au-dessus de la sphère du droit. On pourrait dire aussi que la morale ayant essentiellement pour but de gouverner l’homme, la première chose pour elle, c’est le devoir ; le droit ne vient qu’ensuite et elle ne l’envisage que dans son rapport avec le devoir lui-même.

  1. 1 Trad. franç., p. 65.
  2. 2 P.66.