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DES RAPPORTS DE LA THÉORIE ET DE LA PRATIQUE.


tement de ce que, à mesure qu’on s’élève d’un degré dans la moralité, on la voit encore plus loin de soi, et que les jugements que l’on porte sur ce que l’on est, en se comparant à ce que l’on devrait être, et par conséquent les reproches que l’on s’adresse sont d’autant plus sévères qu’on a déjà franchi, dans l’ensemble du cours des choses, tel que nous le connaissons, un plus grand nombre de degrés de moralité.

Que si l’on demande par quel moyen ce progrès continu vers le bien peut être obtenu et même accéléré, on verra aussitôt que ce résultat qui s’étend à l’infini dépend moins de ce que nous faisons (par exemple de l’éducation que nous donnons à la jeunesse) et de la méthode que nous devons suivre pour l’opérer, que de ce que la nature humaine peut faire en nous et avec nous, pour nous contraindre à entrer dans une voie dont nous ne nous accommoderions pas volontiers par nous-mêmes. En effet, c’est d’elle seule ou plutôt (puisque l’accomplissement de cette fin exige une souveraine sagesse) c’est de la Providence seule que nous pouvons attendre un résultat qui embrasse le tout et du tout descende aux parties, tandis que, au contraire, les hommes dans leurs plans ne procèdent que des parties et y demeurent constamment, et que, s’ils peuvent étendre leurs idées jusqu’au tout, ils ne sauraient étendre jusque-là leur influence, car c’est quelque chose de trop grand pour eux. Ajoutez surtout que, comme ils se contrarient les uns les autres dans leurs plans, ils parviendraient difficilement à s’accorder de leur plein gré pour ce but.

De même que la violence étrangère et les maux qu’elle amène finiraient par déterminer un peuple à se soumettre à la contrainte, que la raison même lui prescrit comme un moyen, c’est-à-dire à la loi publique, et à entrer dans une constitution civile 1[1], ainsi les maux qui résultent des guerres continuelles, au moyen desquelles les États à leur tour cherchent à empiéter ou à étendre leur domination les uns sur les autres, doit les conduire à la fin, même malgré eux, à entrer dans une constitution cosmopolitique 2[2] ; ou, comme un tel état, eu garantissant une paix universelle, est d’un autre côté (ainsi qu’on l’a vu plus d’une fois par l’exemple de puissances trop

  1. 1 Staatsbürgerliche.
  2. * Weltbürgerliche.