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DE L'INTELLIGENCE


du premier genre, des imaginations conçues sans frein, les figures d’hommes et d’animaux taillées en pierre que les Arabes ont souvent rencontrées avec épouvante dans le désert Ras-Sem de la Lybie. Ils croient que ces figures sont des hommes pétrifiés par malédiction. — Mais que, dans l’opinion des mêmes Arabes, ces statues d’animaux doivent, au jour de la résurrection universelle, rabrouer l’artiste et lui reprocher de les avoir faites sans avoir pu leur donner une âme, c’est là une contradiction. — La fantaisie effrénée peut toujours rentrer dans la voie du bon sens (comme celle de ce poète qui présentait au cardinal d’Esté un livre qu’il lui avait dédié, et qui en reçut cette question : « Maître Arioste, où diable avez-vous pris toutes ces extravagances ?) » Elle est un luxe de sa propre richesse. Mais l’imagination déréglée se repaît de folies où la fantaisie se joue tout à fait de l’homme, et où l’infortuné n’a plus du tout en sa puissance le fil de ses représentations.

Du reste, un artiste politique peut aussi bien qu’un artiste esthétique conduire et gouverner le monde (mundus vult decipi) par une imagination qu’il entend repaître de chimères au lieu de la réalité, et qui consistent dans de simples formes, par exemple, de la liberté du peuple (comme dans le parlement d’Angleterre) ou du rang et de l’égalité (comme dans la Convention française) ; mieux vaut cependant avoir pour soi l’apparence de la possession d’un bien qui ennoblit l’humanité, que de s’en trouver violemment dépouillé.