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DE L'OBSERVATION DE SOI-MÊME

le journal d’un observateur de soi-même, et qui conduit facilement au mysticisme et à la folie.

L’attention à soi-même, si l’on a affaire aux hommes, est sans doute nécessaire, mais elle ne doit pas se faire sentir dans le monde ; autrement elle produit la gêne ou l’affectation. Le contraire de ces deux choses est l’aisance, ou la confiance de n’être pas jugé défavorablement pour sa tenue. Celui qui pose comme s’il voulait se juger dans une glace, voir son air, ou qui parle comme s’il s’écoutait lui-même (et non simplement comme s’il était écouté par un autre), est une espèce de comédien. Il veut représenter, et se compose un air qui le perd dans le jugement d’autrui dès qu’on s’aperçoit de ses efforts, parce qu’il fait naître la pensée qu’il a quelque dessein de tromper. — La franchise dans la manière de se montrer extérieurement ne donne lieu à aucun soupçon de cette espèce ; c’est une façon d’agir naturelle (qui n’exclut cependant pas toute forme artificielle, ni la culture du goût), qui plaît par la simple véracité dans les expressions. Mais lorsque l’abandon résulte de la simplicité, c’est-à-dire de l’absence de tout déguisement artificiel et calculé, lorsqu’il se montre dans le langage, il prend alors le nom de naïveté.

La manière ouverte de s’expliquer chez une jeune personne qui approche de l’âge nubile, celle d’un campagnard étranger aux façons polies des villes, provoque par l’innocence et la simplicité (l’ignorance dans l’art de paraître) le sourire de ceux qui sont déjà exercés et stylés dans cet art. Ce n’est pas un sourire de mépris ;