nent dans un cerveau brûlé : l’étendue des mers découverte, les prophéties interprétées, et je ne sais quel galimatias de tête fêlée. Si l’infortuné méconnaît en outre les jugements de l’expérience, c’est un aliéné. Dans le cas cependant où il se fonde sur un grand nombre de jugements d’expérience légitime, mais où sa sensation est tellement troublée par la nouveauté et la multitude des conséquences que lui offre son esprit, qu’il ne donne plus d’attention à la justesse de la liaison, il en résulte souvent une apparence très frappante d’une manie qui peut se concilier avec un grand génie, en ce sens qu’une raison lente ne peut plus accompagner l’esprit ainsi exalté. L’état d’une tête désordonnée, qui va jusqu’à ne pas éprouver les sensations extérieures, est de la fureur ; si la colère y domine, c’est de la rage. Le désespoir est la fureur passagère d’une âme sans espoir. La violence bruyante d’un esprit en désordre est en général la fureur. Le furieux, s’il est délirant, est aliéné.
L’homme, dans l’état de nature, ne peut être exposé qu’à un petit nombre de folies, et donnera difficilement dans l’extravagance. Ses besoins le retiennent toujours dans le voisinage de l’expérience, et fournissent à son entendement sain une si facile occupation, que c’est à peine s’il remarque qu’il a besoin d’intelligence pour ses actions. La paresse donne à ses désirs grossiers et communs une modération qui laisse au peu de jugement dont il a besoin assez de puissance pour les dominer à son plus grand avantage. Où pourrait-il prendre une matière à extravagance, puisque, insouciant du jugement d’autrui, il ne peut être ni vain ni gonflé ? N’ayant absolument aucune représentation de la valeur de biens dont il ne jouit pas, il est garanti de l’absurdité de la cupidité sordide, et comme un certain esprit ne peut jamais entrer dans sa tête, il n’a pas à craindre non plus la manie. De même, le trouble de l’âme dans cet état de simplicité doit être rare. Si le cerveau du sauvage avait souffert quelque choc, je ne sais pas où la fantasterie pourrait pénétrer pour supplanter les sensations habituelles qui seules l’occupent sans rémission. A quel délire peut-il être sujet, puis