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RÊVES D'UN HOMME QUI VOIT DES ESPRITS.


un don de cette nature ne ressemble pas mal à celui dont Junon gratifia Tirésias, qui commença par le rendre aveugle pour en faire plus sûrement un devin. Car, ainsi qu’on peut en juger par les propositions qui précèdent, la connaissance intuitive de l’autre monde ne peut être obtenue ici-bas qu’à la condition de perdre quelque chose de l’entendement qu’on estime nécessaire pour celui-ci. Je ne sais pas non plus si certains philosophes même seraient entièrement affranchis de cette dure condition, je veux parler de ceux qui dirigent avec tant de soin et de profondeurs leurs télescopes métaphysiques vers ces régions lointaines, et savent en raconter des merveilles. Je ne leur envie, du moins, aucune de leurs découvertes ; je crains seulement qu’un jour un homme d’un entendement sain et d’un peu d’esprit ne leur fasse entendre la réponse que fit un cocher à Tycho-Brahé, qui prétendait pouvoir aller de nuit, en se guidant sur les étoiles, par le chemin le plus court : Mon bon Monsieur, vous pouvez bien savoir ce qui se passe au ciel, mais ici, sur la terre, vous n’êtes qu’un imbécile.


CHAPITRE III.
Antikabale. Fragment de la philosophie vulgaire, destiné à faire justice du commerce avec le monde des esprits.


Aristote dit quelque part : Quand nous veillons, nous avons un monde commun, mais quand nous rêvons, chacun a le sien propre. La dernière proposition pourrait, à mon avis, être renversée et s’énoncer ainsi : Si entre différents hommes chacun a son monde à part, c’est une présomption qu’ils rêvent. À ce compte, si nous considérons les architectes aériens de toutes les espèces idéales de mondes, dont chacun habite tranquillement le sien à l’exclusion des autres, celui, par exemple, qui arrange les choses comme l’a fait Wolf, en y faisant entrer