Page:Kant - Critique de la raison pure, 1905.djvu/17

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Critique de Kant peut encore nous rendre, nous plaçons celui-ci au premier rang, et nous voudrions que la publication de cette nouvelle traduction fût le signal d’une réflexion plus profonde des savants sur les conditions mêmes de l’expérience, à laquelle ils attachent à juste titre tant de prix, et d’un retour de l’esprit public à plus de justice à l’égard de la philosophie, considérée trop souvent par lui comme hostile à la science et à un libre usage de la raison humaine.

En même temps nos moralistes retrouveraient peut-être dans la Critique le vrai point de jonction de la science et de la moralité. La tendance visible de leurs efforts actuels est de subordonner la seconde à la première, et de ramener au déterminisme rigoureux d’une science positive, laquelle d’ailleurs, parce qu’elle est une science, ne sera jamais achevée, la spontanéité profonde et l’initiative morale sans lesquelles l’homme ne réagirait plus, même sur la vie sociale, que comme une chose inerte et comme un mécanisme. Or indépendamment de la protestation persistante de la conscience humaine contre un pareil système, c’est d’une manière toute différente que nous apparaissent par en haut les rapports de la science et de la moralité. Si l’action morale reste pour la conscience, en dépit de tous les efforts tentés pour dissiper cette illusion prétendue, une inspiration, nous voulons dire un acte décidément imprévisible, nouveau ou renouvelé parmi nos habitudes individuelles ou parmi nos traditions et habitudes sociales, comment oublierions-nous qu’il en est de même de la science, et que si la science toute faite est un ensemble de traditions et, elle aussi, une solidarité, la science qui se fait est une inspiration, une spontanéité, une vie, ayant dans une unique raison, humaine à la fois et universelle, la source évidemment inconnaissable de toute connaissance et de toute activité ? Si la science et l’action