Page:Kant - Critique de la raison pure, 1905.djvu/18

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sont des suites de la raison, ne demandons point à la science de nous faire connaître ce qui, étant au-dessus des catégories scientifiques, ne saurait s’y soumettre sans une interversion des vrais rapports des choses, et ne demandons point à l’action de déchoir de son rang, qui est le premier, pour tomber sous les prises d’un déterminisme qui resterait indémontrable, s’il devait se présenter comme autre chose que comme une conséquence de l’application des lois de notre connaissance à la Nature et à l’expérience. La seule question qui se pose est de savoir si nous avons une Raison, et, en définitive, une Liberté, Liberté et Raison, ou Liberté et Pensée ne faisant manifestement qu’un pour l’auteur de la Critique : jusqu’à ce qu’elle soit résolue, l’existence du Devoir, on ne s’en est pas toujours rendu compte, reste problématique ; et ce qui nous fait sortir d’incertitude, en rendant témoignage de l’existence d’une Raison, c’est la Science ; en sorte que la Science, d’après l’auteur des Fondements de la Métaphysique des Mœurs, devient la garantie de fait de l’existence du Devoir, ce qui lui fait dire encore cette parole profonde que la Liberté est la clef de voûte des deux Critiques[1]. — Tel est, à notre sens, le vrai rapport de la Science et de la Moralité ; et ce n’est pas le moindre mérite de Kant d’avoir fait de l’une et de l’autre, en laissant à chacune son originalité propre et sa destination, les suites différentes d’un unique « Je pense » et d’une même Raison.

De la science à la moralité, ou de la connaissance spéculative à la pratique, il s’en faut donc qu’il y ait cette opposition, ou même cette séparation radicale sur laquelle on a tant insisté, au point d’en tirer prétexte pour parler d’une contradiction entre les deux Critiques. Assurément

  1. « Der Begriff der Freiheit… macht nun den Schlussstein von dem ganzen Gebäude eines Systems der reinen, selbst der speculativen Vernunft aus. » Krit. der prakt. Vernunft, Vorrede, Hartenstein, V, p. 3.