Page:Kant - Critique de la raison pure, 1905.djvu/569

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à l’absurdité et à la contradiction, et elle outrage le gouvernement dont elle ne peut pénétrer les plans secrets, mais à l’influence bienfaisante duquel elle doit, tout de même, son salut et aussi cette culture qui la rend capable de le blâmer et de le condamner.

On ne peut pas se servir avec sécurité d’un concept a priori sans en avoir fait la déduction transcendantale. Les idées de la raison pure ne permettent pas, il est vrai, de déduction semblable à celle des catégories, mais si elles doivent avoir au moins quelque valeur objective, ne serait-ce qu’une valeur indéterminée, et pour éviter qu’elles représentent simplement de vains êtres de raison (entia rationis ratiocinantis), il faut, de toute façon, qu’une déduction en soit possible, supposé même qu’elle s’écarte de beaucoup de celle qu’on peut faire des catégories. C’est là ce qui complète l’œuvre critique de la raison pure et c’est à cela que nous allons maintenant procéder.

Il y a une grande différence à ce qu’une chose soit donnée à ma raison comme un objet absolument ou seulement à titre d’objet dans l’idée. Dans le premier cas, mes concepts ont pour but de déterminer l’objet ; dans le second, il n’y a réellement qu’un schème, auquel aucun objet n’est donné directement, ni même hypothétiquement, mais qui ne sert qu’à nous représenter d’autres objets dans leur unité systématique, au moyen du rapport à cette idée, par conséquent d’une manière indirecte. Ainsi, je dis que le concept d’une intelligence suprême est une simple idée, c’est-à-dire que sa réalité objective ne doit pas consister en ce qu’il se rapporte directement à un objet (car, en ce sens, nous ne pourrions pas en justifier la valeur objective), mais qu’il est seulement un schème du concept d’une chose en général ordonné suivant les conditions de la plus grande unité rationnelle et qui ne sert qu’à maintenir la plus grande unité systématique dans l’usage empirique de notre raison, où l’on dérive, en quelque sorte, l’objet de l’expérience de l’objet imaginaire de cette idée, comme de son principe ou de sa cause. C’est dire, par exemple, que les choses du monde doivent être considérées comme si elles tenaient leur existence d’une intelligence suprême. De cette manière, l’idée n’est proprement qu’un concept heuristique et non un concept ostensif ; elle montre non pas comment est constitué un objet, mais comment,