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DE LA RAISON PURE


présentent réellement ce double caractère ? Or tels sont précisément toutes les propositions des mathématiques. Tel est, dans l’usage le plus ordinaire de l’entendement, cette proposition, que tout changement doit avoir une cause. C’est en vain que le philosophe Hume cherche à l’expliquer par l’expérience. Bien loin qu’elle puisse dériver de cette source, sans ce principe et en général sans des principes de ce genre, l’expérience elle-même serait impossible (v. p. 49).

Ce ne sont pas seulement certains jugements, ce sont aussi certains concepts qui révèlent une origine à priori, comme celui d’espace ou celui de substance ; mais il faut encore distinguer parmi ces concepts. Les uns, comme ceux mêmes que nous venons de citer, s’appliquent uniquement (ainsi qu’il sera expliqué plus tard) à des objets d’expérience ; d’autres, au contraire, ne trouvent plus dans l’expérience d’objet correspondant, mais dépassent le monde sensible et semblent étendre le cercle de nos connaissances au delà des limites de ce champ, comme par exemple l’idée de Dieu. C’est sur cette dernière classe d’idées que la métaphysique a construit ses systèmes, « sans avoir examiné si une telle entreprise est ou n’est pas au-dessus des forces de la raison (p. 51). » Elle obéissait en cela à une tendance naturelle, le plaisir d’étendre nos connaissances dans le champ de l’infini ; elle s’y voyait d’ailleurs excitée par l’exemple des mathématiques, et par l’absence de toute contradiction provenant, soit de l’expérience, puisqu’elle se plaçait en dehors de ses limites, soit, pour peu qu’elle fût habile, du tissu même des idées. « La colombe légère, dit Kant (p. 52), dans une image devenue célèbre, la colombe légère qui, dans son libre vol, fend l’air dont elle sent la résistance, pourrait s’imaginer qu’elle volerait bien mieux encore dans le vide. C’est ainsi que Platon se hasarda, sur les ailes des idées, dans les espaces vides de l’entendement pur. Il ne s’apercevait pas que, malgré tous ses efforts, il ne faisait aucun chemin, parce qu’il n’avait pas de point d’appui où il pût appliquer ses forces. » Mais plus cette tendance est naturelle, plus il importe de s’assurer par de soigneuses investigations de la solidité des spéculations auxquelles on se livre ainsi, et d’en venir enfin à ces questions par lesquelles on aurait dû commencer : « Comment donc l’entendement peut-il arriver à toutes ces connaissances à priori, quelle en est l’étendue, la va-