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DE LA RAISON PURE


physiciens ont supposé que toute matière contenait du vide en plus ou moins grande proportion ; en quoi, tout en prétendant éviter les hypothèses métaphysiques, ils ne se sont pas aperçus qu’ils faisaient eux-mêmes une hypothèse de ce genre, puisque la supposition du vide n’a aucun fondement dans l’expérience : le vide, c’est-à-dire le néant de toute réalité, ne peut être l’objet d’aucune intuition sensible. Mais cette supposition est-elle nécessaire ? Nullement, d’après le [principe invoqué par Kant. En effet, si toute réalité dans la perception a un degré, et si entre ce degré et la négation il y a une série infinie de degrés possibles, on conçoit que le réel de la perception ou la quantité intensive du phénomène décroisse suivant une infinité de degrés inférieurs sans que la quantité extensive du phénomène (l’espace rempli, le volume) cesse d’être la même, ou que des espaces égaux puissent être parfaitement remplis par des matières différentes. Ainsi la chaleur, ou toute autre dilatation qui remplit l’espace, peut décroître par degrés à l’infini sans laisser jamais vide la plus petite partie de l’espace qu’elle remplit : elle ne le remplira pas moins avec ces degrés plus bas que ne le ferait un autre phénomène avec de plus élevés. On voit par là quelle est la portée du principe : il détruit la prétendue nécessité de l’existence du vide et rend possible un autre mode d’explication en introduisant dans la perception de la matière un autre élément que celui de la quantité extensive.

Mais reste toujours la difficulté : comment l’entendement peut-il anticiper la perception en ce qui est proprement empirique, c’est-à-dire en ce qui concerne la sensation ? Voici la solution que Kant donne à cette question. La qualité de la sensation (couleur, saveur, etc.) est, il est vrai, toujours purement empirique et ne peut être représentée à priori ; mais la propriété qu’elle possède d’avoir un degré peut être connu à priori ; car ce degré, ou le réel, qui correspond aux sensations en général, ne représente que quelque chose dont le concept implique une existence et ne signifie rien qu’une synthèse dont la gradation peut s’élever de 0 à une conscience empirique donnée. Ainsi la même sensation de lumière qu’excitent plusieurs surfaces éclairées peut être excitée par une seule plus éclairée. On peut donc concevoir cette quantité intensive à priori, abstraction faite de la quantité extensive de l’intuition.