Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
liii
DE LA RAISON PURE


vons savoir ce que sont les choses en soi, parce qu’il faudrait pour cela un mode d’intuition qui n’est nullement le nôtre. Tout négatif qu’il est, ce concept a pourtant une grande utilité : il sert à restreindre les prétentions de la sensibilité. Il est bien vrai que le champ des choses sensibles est le seul que puisse embrasser notre connaissance ; mais ce champ n’est que celui des phénomènes, il n’est pas celui des choses en soi. Par de là le monde sensible, nous concevons un monde intelligible, que nous ne pouvons à la vérité déterminer et connaître, mais qui n’a rien de contradictoire et qui n’est nullement une fiction arbitraire. Cette conception n’étend pas sans doute d’une manière positive les limites de notre entendement : elle lui rappelle au contraire la nécessité de s’y renfermer ; mais elle sert du moins à rabattre les prétentions de la sensibilité, qui voudrait faire passer son monde de phénomènes pour celui des choses en soi.

Nous venons de voir que l’entendement n’a proprement qu’un usage empirique ; mais, comme les catégories, bien que n’ayant de valeur que par rapport à des objets d’expérience, ont leur source en dehors de la sensibilité, et peuvent être conçues en général, abstraction faite de la manière particulière dont les objets nous sont donnés, nous sommes naturellement portés à substituer à l’usage empirique de l’entendement un usage purement transcendental.

De l’amphibolie des concepts de l’entendement pur.


De là résulte une confusion, ou ce que Kant appelle une amphibolie, qui, bien que naturelle, n’en est pas moins fâcheuse, et qu’une réflexion plus profonde doit s’appliquer à dissiper en l’examinant sous ses diverses faces, ou suivant les divers rapports par lesquels nos concepts peuvent se rattacher les uns aux autres. C’est par ce travail critique que notre philosophe termine l’analytique de la raison pure.

1. Unité et diversité. Quelque identiques que puissent être deux gouttes d’eau, elles sont numériquement diverses par cela seul qu’elles occupent dans le même temps des lieux divers ; mais, si je les considère en dehors de cette condition ou comme objets de l’entendement pur, il n’y a plus lieu de les distinguer, et la diversité disparaît ainsi dans l’identité. C’est ainsi que Leibnitz arriva à son principe des indiscernables. Ce principe serait tout à fait inattaquable au point de vue de l’entendement pur ; mais il perd toute valeur pour qui remarque que cet usage de l’entendement est illusoire, et que, dans son véritable usage,