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Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/66

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DE LA RAISON PURE

4. De même enfin, si l’entendement pur se rapportait immédiatement aux objets et si l’espace et le temps étaient des déterminations de choses en soi, comme l’entendement exige que quelque chose soit donné dans le concept pour pouvoir le déterminer d’une certaine manière, il faudrait admettre que dans ce concept la matière (c’est-à-dire le déterminable en général) précède la forme (c’est-à-dire sa détermination). C’est aussi ce que fit Leibnitz en concevant d’abord ses monades en général comme des substances capables de déterminations, puis en les supposant douées de la faculté représentative, enfin en cherchant dans le rapport de ces substances et dans l’enchaînement de leurs déterminations le fondement de l’espace et du temps. L’espace et le temps sont au contraire des formes originaires que suppose toute la matière de nos connaissances, et qui, à ce titre, lui sont antérieures. La philosophie intellectuelle de Leibnitz a donc ici renversé l’ordre des termes, faute d’avoir bien su reconnaître le vrai rôle de la sensibilité et de l’entendement dans la connaissance humaine.

Leibnitz et Locke.

Kant insiste, dans une remarque, sur la confusion où est tombé à cet égard ce grand esprit. Ne voyant dans la sensibilité qu’un mode confus de la représentation des choses dont l’entendement nous donne la claire connaissance, il pensait que, pour obtenir cette connaissance, il suffit de rapprocher les objets de la perception des concepts formels et abstraits de la pensée, et il construisit un système intellectuel qui avait la prétention de pénétrer la nature intime des choses : il intellectualisait ainsi les phénomènes, tandis que Locke sensualisait les concepts de l’entendement. Ni l’un ni l’autre ne virent que la sensibilité et l’entendement sont deux sources tout à fait distinctes, mais qui ont besoin d’être unies pour former la connaissance ; et chacun d’eux s’attacha exclusivement à celle de ces deux sources qui lui paraissait se rapporter immédiatement aux choses mêmes. On voit par là combien il importe de déterminer, par une sorte de topique transcendentale, la place qui revient à chacun de nos concepts, à quelle faculté il appartient proprement, si c’est à la sensibilité ou à l’entendement, et par suite quel usage il convient d’en faire. Tel est en effet le seul moyen de nous préserver des surprises de l’entendement et des illusions qui en résultent.