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CRITIQUE DE LA RAISON PURE


fondements de cet édifice, ou que l’on commence par se poser préalablement ces questions : comment donc l’entendement peut-il arriver à toutes ces connaissances à priori, quelle en est l’étendue, la valeur et le prix ? Il n’y a dans le fait rien de plus naturel, si, par ce mot naturel, on entend ce qui doit se faire raisonnablement. Mais, si l’on entend par là ce qui arrive généralement, rien, au contraire, n’est plus naturel et plus facile à comprendre que le long oubli de cette recherche. En effet, une partie de ces connaissances, les connaissances mathématiques, sont depuis longtemps en possession de la certitude, et font espérer le même succès pour les autres, quoique celles-ci soient peut-être d’une nature toute différente. En outre, dès qu’on a mis le pied hors du cercle de l’expérience, on est sûr de ne plus être contredit par elle. Le plaisir d’étendre ses connaissances est si grand que l’on ne pourrait être arrêté dans sa marche que par une évidente contradiction, contre laquelle on viendrait se heurter. Or il est aisé d’éviter cette pierre d’achoppement, pour peu que l’on se montre avisé dans ses fictions, qui n’en restent pas moins des fictions. L’éclatant exemple des mathématiques nous montre jusqu’où nous pouvons aller dans la connaissance à priori sans le secours de l’expérience. Il est vrai qu’elles ne s’occupent que d’objets et de connaissances qui peuvent être représentés dans l’intuition ; mais on néglige aisément cette circonstance, puisque l’intuition dont il s’agit ici peut être elle-même donnée à priori, et que, par conséquent, elle se distingue à peine d’un simple et pur concept. Entraînés par cet exemple de la puissance de la raison, notre penchant à étendre nos connaissances ne connaît plus de bornes. La colombe légère, qui, dans son libre vol,