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CRITIQUE DE LA RAISON PURE


de pierre de touche. Le champ de bataille où se livrent ces combats sans fin, voilà ce qu’on nomme la Métaphysique.

Il fut un temps où elle était appelée la reine de toutes les sciences ; et, si l’on répute l’intention pour le fait, elle méritait bien ce titre glorieux par la singulière importance de son objet. Mais, aujourd’hui, il est de mode de lui témoigner un mépris absolu, et cette antique matrone, abandonnée et repoussée de tous, peut s’écrier avec Hécube :

Modo maxima rerum,
Tot generis natisque potens…

Nunc trahor exul, inops.

(Ovide, Métam.)

Sa domination fut d’abord despotique : c’était le règne des dogmatiques. Mais, comme ses lois portaient encore les traces de l’ancienne barbarie, des guerres intestines la firent tomber peu à peu en pleine anarchie, et les sceptiques, espèce de nomades qui ont en horreur tout établissement fixe sur le sol, rompaient de temps en temps le lien social. Mais, comme par bonheur ils étaient peu nombreux, ils ne pouvaient empêcher les dogmatiques de chercher à reconstruire à nouveau l’édifice renversé, sans avoir d’ailleurs de plan sur lequel ils fussent d’accord entre eux. À une époque plus récente, une certaine physiologie de l’entendement humain (je veux parler de la doctrine de l’illustre Locke) sembla un instant devoir mettre un terme à toutes ces querelles et prononcer définitivement sur la légitimité de toutes ces prétentions. Mais, quoique notre prétendue reine eût une naissance vulgaire, ou qu’elle fût sortie de l’expérience com-