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CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE


le sentiment du sujet, et non dans le concept d’un objet. Chercher un principe du goût qui fournisse en des concepts déterminés le critérium universel du beau, c’est peine inutile, puisque ce qu’on cherche est impossible et contradictoire en soi. La propriété qu’a la sensation (la satisfaction) d’être universellement partagée, et cela sans le secours d’aucun concept ; l’accord, aussi parfait que possible de tous les temps et de tous les peuples sur le sentiment lié à la représentation de certains objets, voilà le critérium empirique, bien faible, sans doute et à peine suffisant à fonder une conjecture, au moyen duquel on peut rapporter un goût ainsi éprouvé par des exemples au principe commun à tous les hommes, mais profondément caché, de l’accord qui doit exister entre eux dans la manière de juger des formes sous lesquelles les objets leur sont donnés.

C’est pourquoi l’on considère certaines productions du goût comme exemplaires, ce qui ne veut pas dire que le goût puisse s’acquérir par l’imitation. Car le goût doit être une faculté originale ; celui qui imite un modèle montre, en l’atteignant, de l’habileté ; mais il ne fait preuve de goût qu’autant qu’il peut le juger lui-même (1)[1]. Il suit de là que le modèle suprême, le prototype du goût n’est qu’une pure idée, que chacun doit tirer de lui-même, et d’après laquelle il doit juger tout ce qui est objet

  1. (1) Les modèles du goût, relativement aux arts de la parole,