Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome premier.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE

Il est à remarquer que, d’une manière tout à fait insaisissable pour nous, l’imagination n’a pas seulement le pouvoir de rappeler, à l’occasion, même après un long temps, les signes des concepts, mais aussi de reproduire l’image et la forme d’un objet au milieu d’un nombre inexprimable d’objets d’espèces différentes ou de la même espèce. Bien plus, quand l’esprit veut instituer des comparaisons, l’imagination, selon toute vraisemblance, quoique la conscience n’en soit pas suffisamment avertie, rappelle les images les unes sur les autres, et par cet assemblage de plusieurs images de la même espèce, fournit une moyenne qui sert de mesure commune. Chacun a vu un millier d’hommes. Or, quand on veut juger de la grandeur normale de l’homme, en l’estimant par comparaison, l’imagination, d’après mon opinion, rappelle les unes sur les autres un grand nombre d’images (peut-être toutes ces mille), et, s’il m’est permis d’emprunter ici des métaphores aux choses de la vue, c’est dans l’espace où la plupart se réunissent et dans le lieu illuminé par la plus vive couleur, qu’on reconnaît la grandeur moyenne, laquelle, pour la hauteur comme pour la largeur, est également éloignée des plus grandes et des plus petites statures. Et c’est là la stature d’un bel homme. (On pourrait arriver au même résultat mécaniquement, en mesurant ces mille hommes, en additionnant entre elles leurs hau-