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CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE


fondement à la nature et notre faculté de penser), qui est grand au delà de toute mesure des sens, et par conséquent ce sera moins l’objet qu’elle nous fera regarder comme sublime que l’état de l’esprit dans l’estimation de cet objet.

Ainsi, de même que le jugement esthétique en matière de beau rapporte le libre jeu de l’imagination à l’entendement pour la mettre d’accord avec des concepts intellectuels en général (sans les déterminer), de même, en matière de sublime, il rapporte cette même faculté à la raison pour l’accorder subjectivement avec des idées rationnelles (indéterminées), c’est-à —dire pour produire un état de l’esprit conforme à celui que produirait sur le sentiment l’influence d’idées déterminées (pratiques) et très-conciliable avec lui.

On voit aussi par là que la véritable sublimité ne doit être cherchée que dans l’esprit de celui qui juge, non dans l’objet de la nature, dont le jugement occasionne cet état. Qui voudrait appeler sublimes des montagnes informes, entassées les unes sur les autres dans un désordre sauvage, avec leurs pyramides de glace, ou une mer sombre et orageuse, ou d’autres choses de cette espèce ? Mais l’esprit se sent élevé dans sa propre estime, lorsque, comtemplant ces choses sans avoir égard à leur forme, il s’abandonne à l’imagination et à la raison, laquelle tout en s’unissant à la première sans but déterminé