Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome premier.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quent, il en fait comme un schême du supra-sensible. Elle joue avec l’apparence qu’elle produit à son gré, mais sans tromper par là ; car elle donne l’exercice auquel elle se livre pour un simple jeu, mais pour un jeu qui doit être dirigé par l’entendement et lui être conforme. — L’éloquence, si on entend par là l’art de persuader, c’est-à-dire de tromper par une belle apparence (ars oratoria), et non pas simplement l’art de bien dire (l’éloquence proprement dite et le style),[1] cette éloquence est une dialectique qui ne s’éloigne de la poésie qu’autant que cela lui est nécessaire pour séduire les esprits en faveur de l’orateur et leur ôter la liberté ; on ne peut par conséquent en conseiller l’emploi dans l’enceinte du tribunal ni dans la chaire. Car, quand il s’agit des lois civiles, des droits de certains individus, quand il s’agit d’instruire sérieusement les esprits dans l’exacte connaissance de leurs devoirs et de les disposer à les observer consciencieusement, il est indigne d’une si importante entreprise de laisser paraître la moindre trace de ce luxe de l’esprit et de l’imagination, qui peut convenir ailleurs, et, à plus forte raison, de cet art de persuader et de séduire les esprits, qui peut sans doute être employé pour une fin légitime et louable, mais qui a le tort d’altérer la pu-

  1. Il y a dans le texte : und nicht bloße Wohlredenheit (Eloquenz und Styl)