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DU SENTIMENT DU BEAU ET DU SUBLIME.


les solitudes d’une immense étendue, comme les affreux déserts de Chamo dans la Tartarie, ont toujours engagé l’imagination à y placer des ombres terribles, des lutins et des fantômes.

Le sublime doit toujours être grand, le beau peut aussi être petit. Le sublime doit être simple, le beau peut être paré et orné. Une grande hauteur est aussi sublime qu’une grande profondeur, mais celle-ci fait frissonner, celle-là excite l’admiration ; d’un côté le sentiment du sublime est terrible ; de l’autre, il est noble. L’aspect d’une pyramide d’Égypte, à ce que rapporte Hasselquist, émeut beaucoup plus qu’on ne peut se le figurer, d’après une description écrite, mais l’architecture en est simple et noble. L’église de saint Pierre de Rome est magnifique. Comme dans ce vaste et simple édifice, la beauté, par exemple l’or, les mosaï-

    et enfin le dernier rayon de lumière s’éteignit dans la plus profonde obscurité. Les mortelles angoisses du désespoir augmentaient à chaque instant, à mesure que je m’éloignais davantage du dernier monde habité. Je songeais, avec un serrement de cœur insupportable, que lorsque, pendant dix mille fois dix mille ans, j’aurais été transporté toujours plus loin des bornes du monde créé, je continuerais encore de m’enfoncer dans l’abîme sans fin de l’obscurité, sans secours et sans espoir de retour. — Dans cet étourdissement, j’étendis les mains avec une telle force vers les objets de la réalité que je me réveillai. Et maintenant j’ai appris à estimer les hommes ; car le dernier de ceux que, dans l’orgueil de mon bonheur, j’avais repoussés de ma porte, je l’eusse préféré dans cette affreuse solitude à tous les trésors de Golconde. »