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Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/251

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DES DIFF. OBJETS DU SENTIMENT DU BEAU, ETC.


tristesse ; dans quelques cas, d’une tranquille admiration ; et dans d’autres, il est lié à celui d’une beauté répandue sur un vaste plan. J’appellerai la première espèce de sublime le sublime terrible ; la seconde, le sublime noble ; et la troisième, le sublime magnifique. Une profonde solitude est sublime, mais d’un sublime terrible (l)[1]. De là vient que.

  1. (1) Je ne veux donner qu’un exemple de la noble horreur que peut inspirer la description d’une solitude complète, et je citerai dans ce but quelques passages extraits du songe de Carazan, dans le magasin de Brême, vol. IV, p. 539. Ce riche avare avait fermé son cœur à la compassion et à l’amour du prochain, à mesure que ses richesses augmentaient. Cependant, tandis que l’amour des hommes se refroidissait en lui, la ferveur de ses prières et de ses pratiques religieuses augmentait. Après avoir fait cet aveu, il continue ainsi : « Un soir qu’à la lueur de ma lampe je faisais mes comptes et calculais mes bénéfices, le sommeil me surprit. Dans cet état, je vis l’ange de la mort fondre sur moi comme un tourbillon ; il me frappa d’un coup terrible avant que je pusse demander grâce. Je fus stupéfié, quand je m’aperçus que mon sort était décidé pour l’éternité, et que je ne pouvais plus rien ajouter au bien ni rien retrancher au mal que j’avais fait. Je fus conduit devant le trône de celui qui habite dans le troisième ciel. La lumière qui flamboyait devant moi me parla ainsi : « Carazan, le culte que tu as rendu à Dieu est rejeté. Tu as fermé ton cœur à l’humanité et retenu tes trésors d’une main de fer. Tu n’as vécu que pour toi, et c’est pourquoi tu vivras aussi dans l’éternité seul et privé de tout commerce avec les autres créatures. » Dans ce moment, je fus arraché de ce lieu par une force invisible, et entraîné à travers le brillant édifice de la création. Je laissai bientôt derrière moi des mondes innombrables. Quand j’approchai des extrémités de la nature, je remarquai que les ombres du vide sans bornes se perdaient devant moi dans les abîmes. C’était l’empire effrayant du silence, de la solitude et de l’obscurité éternels. Une inexprimable horreur s’empara de moi en ce moment. Je perdis de vue peu à peu les dernières étoiles,