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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.

Il résulte de ce qui précède que l’éducation est à la fois, comme dit Kant 1[1], « le problème le plus grand et le plus ardu qui nous puisse être proposé. » — « Il y a deux choses, remarque-t-il 2[2], qu’on peut regarder comme étant tout ensemble les plus importantes et les plus difficiles pour l’humanité : l’art de gouverner les hommes, et celui de les élever ; et pourtant on dispute encore sur ces idées. » Kant voudrait fixer celle de l’éducation, et, sinon tracer un plan complet (nul homme, nulle génération même n’y saurait prétendre), du moins tourner au profit de cet art les lumières de son siècle et les progrès de l’esprit humain.

L’homme ne sort pas tout formé des mains de la nature, mais il a besoin, pour vivre et devenir ce qu’il doit être, de soins, de discipline et de culture, c’est-à-dire, en un mot, d’éducation. C’est par là qu’il s’élève de l’état animal à l’état humain proprement dit ; aussi est-il entre tous les animaux le seul qui soit susceptible d’éducation 3[3]. On voit déjà quel est le rôle de celle-ci : son but est de faire des hommes 4[4]. En un certain sens, l’homme est à lui-même son propre ouvrage : il n’est pas, il se fait ; d’où la nécessité de l’éducation. Voilà ce que Kant a supérieurement compris. Il ne dirait donc pas avec Rousseau : « Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses ; tout dégénère entre les mains de l’homme. » Tout n’est pas bien au sortir des mains de Dieu, quand il s’agit de l’homme, puisqu’il lui reste tant à faire ; tout ne dégénère pas entre ses mains, puisqu’il ne serait rien sans sa propre coopération. A la vérité, il gâte souvent et défigure l’œuvre que Dieu lui a confiée : au lieu de développer sa nature en la perfectionnant, il l’étouffe sous une couche artificielle, et s’écarte ainsi de sa véritable destination ; en ce sens, Rousseau et les philosophes du dix-huitième siècle ont eu raison de protester contre la tyrannie des préjugés et des institutions, et de prêcher le retour à la nature. Mais il aurait fallu bien s’entendre sur ce que c’est que la nature par rap port à nous, et c’est en quoi ils se sont souvent trompés à leur tour. Kant comprend leurs plaintes et s’associe à leur œuvre, mais en se gardant de leurs erreurs. Avec eux, mais

  1. 1 p.192.
  2. 2 P.193.
  3. 3 P. 187.
  4. 4 P. 189.