Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xciii
DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


contrainte extérieure ; elle l’empêche ainsi de se laisser détourner de sa destination par ses penchants brutaux, mais elle ne l’éclaire pas sur ce qu’il doit faire. La seconde, au contraire, par le moyen de l’instruction et de toutes les connaissances nécessaires, lui permet d’acquérir l’habileté, la prudence et par-dessus tout, la moralité 1[1]. La seconde n’est guère possible sans la première ; car, comme dit Kant 2[2], « l’homme a naturellement un si grand penchant pour la liberté que, quand on lui en laisse prendre d’abord une longue habitude, il lui sacrifie tout : » indocile à toute espèce de joug, il sera désormais incapable de toute culture. C’est là justement ce qui fait que les sauvages sont si difficiles à civiliser. Rousseau voit dans cette résistance de leur nature à la civilisation l’effet d’un noble penchant pour la liberté ; Kant, au contraire, l’explique par une certaine rudesse qui vient de ce que chez eux l’homme ne s’est pas encore dégagé de l’animal. Il importe donc de soumettre de bonne heure les enfants à une discipline qui les prépare à recevoir une culture efficace. D’un autre côté, la discipline sans la culture ferait des machines, mais non des hommes. On peut dresser des hommes, comme on dresse des chevaux ou des chiens 3[3] ; mais cela n’a rien de commun avec l’éducation. Kant a donc raison de dire qu’un des plus grands problèmes de l’éducation est de concilier sous une contrainte légitime la soumission avec la faculté de se servir de la liberté 4[4] ? » — « Il faut, continue-t-il, que j’accoutume mon élève à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et qu’en même temps je l’instruise à en faire lui-même un bon usage. »


Mais avant de rechercher en détail les règles de la discipline et de la culture, il est nécessaire d’avoir fait une étude spéciale des soins matériels qu’exige l’enfant ; car ils ont eux-mêmes une très-grande importance pour son avenir. Aussi Kant, comme Rousseau, fait-il rentrer cette étude dans celle de l’éducation ; elle forme la première partie de ce qu’il nomme l’éducation physique. Avec Rousseau, il demande que la mère nourrisse elle-même son enfant, tout en admettant

  1. 1 p. 196.
  2. 2 P. 188.
  3. 3 P. 197.
  4. 4 P. 200.