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ANALYSE CRITIQUE

Retour sur la distinction des devoirs de droit et des devoirs de vertu.

Les actions humaines peuvent être soumises à deux de contrainte[1]. L’une est la contrainte extérieure. Il est bien évident que celle-ci ne saurait s’exercer que sur des actes extérieurs : tout ce qui n’a pas ce caractère lui échappe nécessairement. L’autre est cette contrainte morale que l’on exerce sur soi-même en repoussant les obstacles apportés en nous par les penchants de notre nature à l’accomplissement d’une loi, qui, à cause de cet antagonisme même, s’appelle le devoir, et en leur opposant cette force intérieure que nous puisons dans le sentiment de notre liberté. La première ne peut s’appliquer qu’à la liberté extérieure, qu’elle entrave ; la seconde, au contraire, a son principe dans la liberté extérieure, qu’elle manifeste. « L’homme, dit Kant[2], est d’autant plus libre qu’il est moins soumis à la contrainte physique et qu’il l’est plus à la contrainte morale, à celle qu’exerce la seule idée du devoir. Celui, par exemple, qui, doué d’une résolution assez ferme ou d’une âme assez forte pour ne pas renoncer à une partie de plaisir qu’il a projetée, quelque danger qu’on veuille lui faire craindre, abandonne son projet sans hésitation, mais non sans regret, dès qu’on lui représente qu’il le ferait manquer à ses devoirs ou négliger un père malade, celui-là, par cela même qu’il ne peut résister à la voix du devoir, fait au plus haut degré preuve de liberté. » La première espèce de contrainte est la seule que nos semblables puissent exercer sur nous au nom du droit : il ne s’agit ici que de régler l’exercice de notre liberté extérieure, en la forçant à rentrer dans la loi générale de L’accord de la liberté de chacun avec celle de tous) dès que notre conduite s’accorde extérieurement avec cette loi, on ne peut rien exiger de plus. La seconde n’est autre chose que la vertu, car c’est ainsi que l’on nomme ce courage moral à l’aide duquel nous résistons aux penchants de notre nature sensible pour obéir à la loi du devoir. Elle peut bien avoir pour objet un acte extérieur, même un acte exigé par le droit, mais alors c’est au motif moral de l’acte qu’elle s’attache : en nous donnant ce motif même pour principe de détermination, elle nous

  1. 1 Doctrine de la vertu, Introduction, I. Explication du concept d’une doctrine de la vertu, trad. française, p. 11-17.
  2. 2 Trad. franç., p. 15.