Page:Kant - Doctrine de la vertu.djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
139
DEVOIRS ENVERS LES AUTRES HOMMES.


conduite, lorsque le malheur des autres ou leur conduite scandaleuse, leur folie, vient faire ressortir notre propre état. Mais se réjouir directement de l’existence de ces énormités qui troublent l’ordre universel[1], et par conséquent aller jusqu’à souhaiter des événements de ce genre, c’est le fait d’une secrète haine des hommes et tout l’opposé de l’amour du prochain, que notre devoir nous oblige de cultiver. — L’arrogance[2] qu’inspire une prospérité constante et la présomption[3] que fait naître la bonne conduite (quand elle n’est en définitive autre chose que le bonheur d’avoir toujours échappé jusque-là à la séduction des vices publics), ces deux sentiments, dont l’homme vaniteux se fait un mérite, produisent cette joie maligne, directement contraire au devoir qui se fonde sur le principe de la sympathie et qu’exprime si bien dans Térence la maxime de l’honnête Chrémès : « Je suis homme ; rien d’humain ne m’est étranger. »

De cette joie maligne, la plus douce est le désir de la vengeance ; celui-ci semble d’ailleurs se fonder sur un droit essentiel et même obéir à une obligation à l’amour du droit en se proposant pour but le mal d’autrui, indépendamment de tout avantage personnel.

Toute action qui blesse le droit d’un homme mérite un châtiment ; et ce châtiment venge le crime dans la personne du coupable (il ne répare pas seulement le préjudice causé). Or ce châtiment n’est pas un acte de l’autorité privée de l’offensé, mais d’un tribunal distinct de lui, qui assure leur effet aux lois d’un pou-

  1. Das allgemeine Weltbeste.
  2. Uebermuth.
  3. Eigendünkel.