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DEVOIRS ENVERS LES AUTRES HOMMES.


quant réciproquement leurs plus secrètes pensées et leurs plus secrets sentiments, autant que cela se peut concilier avec le respect qu’elles ont l’une pour l’autre.

L’homme est un être destiné à la vie de société, quoiqu’en revanche il soit peu sociable : en cultivant la vie de société, il sent vivement le besoin de s’ouvrir aux autres, même sans songer à en retirer aucun avantage ; mais, d’un autre côté, il est retenu et averti par la crainte de l’abus qu’on peut faire de cette révélation de ses pensées, et il se voit forcé par là de renfermer en lui-même une bonne partie de ses jugements, surtout ceux qu’il porte sur les autres hommes. Il entretiendrait bien volontiers quelqu’un de ce qu’il pense sur les personnes qu’il fréquente, sur le gouvernement, sur la religion, etc. ; mais il n’ose le faire, de peur que les autres, gardant prudemment pour eux leur façon de penser, ne tournent ses paroles contre lui. Il consentirait bien aussi à révéler à un autre ses défauts ou ses fautes ; mais peut-être cet autre lui cachera-t-il les siens, et alors il doit craindre de baisser dans son estime, en lui ouvrant tout son cœur.

Que s’il trouve un homme d’un sens et d’un esprit droits, dans le sein duquel il puisse épancher son cœur en toute confiance et sans avoir rien à craindre, et qui en outre soit d’accord avec lui dans la manière de juger les choses, il peut donner cours à ses pensées ; il n’est plus entièrement seul avec elles, comme dans une prison, mais il jouit d’une liberté dont il se voit privé dans le monde, où il est forcé de se renfermer en lui-même. Chaque homme a ses secrets, et il ne peut les confier aveuglément aux autres, soit à cause de l’indé-