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DOCTRINE DE LA VERTU


devoir, mais ne sauraient lui enlever la conscience d’être au-dessus de tous ces maux et d’en être le maître ; aussitôt se présente à lui cette question : qu’est-ce en moi que cette puissance qui ose se mesurer avec toutes les forces de la nature, soit en moi-même, soit au dehors, et qui est capable de les vaincre, lorsqu’elles luttent contre mes principes moraux ? Lorsque cette question, dont la solution dépasse tout à fait la portée de la raison spéculative, et qui pourtant se pose d’elle-même, lorsque cette question s’élève dans le cœur, l’incompréhensibilité même qu’on trouve ici dans la connaissance de soi-même doit donner à l’âme une élévation qui l’exalte d’autant plus à remplir saintement son devoir, qu’elle est plus sollicitée à y manquer.

Dans cet enseignement moral catéchétique, il serait très-utile, pour la culture morale qu’on a en vue, de poser, à propos de l’analyse de chaque espèce de devoirs, quelques questions casuistiques, et de mettre ainsi à l’essai l’intelligence des enfants réunis, en demandant à chacun comment il pense résoudre la question proposée. En effet, outre que c’est là une espèce de culture de la raison parfaitement appropriée à la capacité des esprits qui ne sont pas encore formés (car la raison montre beaucoup plus de facilité dans la solution des questions qui concernent le devoir que dans celle des questions spéculatives), et qu’il n’y a pas en général de meilleur moyen d’exercer l’esprit de la jeunesse ; il est dans la nature de l’homme d’aimer ce qu’il a étudié d’une manière scientifique (ce dont la science ne lui est pas étrangère), et ainsi, par des exercices de ce genre, l’élève sera insensiblement conduit à prendre de l’intérêt à la moralité.

Mais il est extrêmement important, dans l’éducation, de ne point mêler (amalgamer) le catéchisme moral avec le catéchisme religieux, et plus encore de ne le point faire succéder à ce dernier ; il faut toujours commencer par le premier, en ayant soin de lui donner toute la clarté et toute l’étendue désirables. Autrement, la religion ne sera plus que pure hypocrisie : on ne se soumettra au devoir que par crainte, et la moralité, n’étant pas dans le cœur, sera mensongère.