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ANALYSE CRITIQUE


et non notre devoir sur notre force morale. Il ne s’agit pas ici de savoir ce que nous sommes, mais ce que nous devons être.

De la vertu en général.

L’introduction que j’analyse a jusqu’ici déterminé l’objet de la doctrine de la vertu, les dispositions subjectives que suppose en nous la pratique des devoirs qu’elle nous impose, et les règles à suivre dans l’étude de ses préceptes ; mais qu’est-ce en général que la vertu ? Quelle idée devons-nous nous en faire ? C’est là une question qui mérite qu’on s’y arrête et qu’on lui fasse une place à part. Il est temps de remplir cette tâche 1[1]. Qui dit vertu, dit une force morale de la volonté, mais en la définissant ainsi, nous n’en aurions pas complété l’idée : la sainteté aussi implique une force de ce genre, et pourtant il y a une grande différence entre la sainteté et la vertu 2[2]. La première est l’état d’une volonté qui se conforme d’elle-même à la loi de la raison, sans être détournée ou sollicitée par aucun penchant contraire, et qui en ce sens est au-dessus de la contrainte du devoir ; la seconde est celui d’une volonté qui est forcée de lutter contre les penchants de la nature sensible pour obéir à la loi rationnelle ou au devoir ; car c’est le nom que prend cette loi, lorsqu’elle s’applique à une volonté de ce genre. La vertu est donc bien une force morale, comme la sainteté, mais c’est une force militante : « les vices, ces fruits des coupables pensées, voilà les monstres qu’elle a à combattre 3[3]. » Cette force ou ce courage, chacun de nous le possède, puisqu’il lui est nécessaire, et il en peut mesurer le degré d’après la grandeur même des obstacles qui lui sont opposés, « Il est, dit Kant 4[4], notre plus grand et même notre véritable titre de gloire. » — « Ce n’est qu’en le possédant, ajoute notre moderne stoïcien, que l’homme est libre, sain, riche, roi, et n’a rien à craindre ni du hasard ni du destin. » Mais qu’on ne se fasse pas illusion : si élevée qu’elle soit, la moralité humaine n’est toujours que de la vertu ; il ne lui est pas donné de parvenir à la sainteté, mais

  1. 1 P. 53.
  2. 2 Cette différence a déjà été expliquée dans la Critique de la raison pratique. Voyez ma Traduction et mon Examen de cet ouvrage.
  3. 3 Trad. franç., p. 53.
  4. 4 Ibid.