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PÉDAGOGIE.


afin qu’ils puissent séduire les gens. Rien ne leur est plus funeste qu’une discipline qui les taquine et les avilit[1] pour briser leur volonté.

On leur crie ordinairement : Fi, n’as-tu pas honte, cela est indécent ! etc. Mais de telles expressions ne devraient pas se rencontrer dans la première éducation. L’enfant n’a encore aucune idée de la honte et de la décence ; il n’a pas à rougir, il ne doit pas rougir, et il n’en deviendra que plus timide. Il sera embarrassé devant les autres et se cachera volontiers à leur aspect. De là naît en lui une réserve mal entendue et une fâcheuse dissimulation. Il n’ose plus rien demander, et pourtant il devrait pouvoir tout demander ; il cache ses sentiments, et il se montre toujours autrement qu’il n’est, tandis qu’il devrait pouvoir tout dire franchement. Au lieu d’être toujours auprès de ses parents, il les évite et se jette dans les bras des domestiques plus complaisants.

Le badinage et de continuelles caresses ne valent guère mieux que cette éducation taquine. Cela fortifie l’enfant dans sa volonté, le rend faux, et, en lui révélant une faiblesse dans ses parents, lui enlève le respect qu’il leur doit. Mais, si on l’élève de telle sorte qu’il ne puisse rien obtenir par des cris, il sera libre sans être effronté[2] et modeste sans être timide. On ne peut souffrir un insolent. Certains hommes ont une figure si insolente que l’on en craint toujours quelque grossièreté ; en revanche il y en a d’autres qu’on juge incapables, en voyant leur visage, de dire une grossièreté à quelqu’un. On peut toujours se montrer franc, pourvu qu’on y joigne une certaine bonté. On dit souvent des grands qu’ils ont un air tout à fait royal. Mais cela n’est pas autre chose qu’un certain regard insolent, dont ils ont pris l’habitude dès leur jeunesse, parce qu’on ne leur a jamais résisté.

Tout cela n’appartient encore qu’à la culture négative. En effet, beaucoup de faiblesses de l’homme ne viennent pas de ce qu’on ne lui apprend rien, mais de ce qu’on lui commu-

  1. Eine neckende, sklavische Disciplin.
  2. Dummdreist. Sur ce mot Dreist, Kant fait cette remarque, que je ne pouvais laisser dans le texte, et que je reproduis ici : Dreist devrait proprement s’écrire Dräust, car cela vient de dräuen, drohen (menacer).