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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


funestes : l’un, cette estime présomptueuse de soi-même qui va jusqu’à prendre pour de bonnes actions de simples désirs demeurés sans effet ; l’autre, ce mépris fanatique du genre humain, qui, au lieu de tomber sur ceux qui font le mal, s’en prend à l’humanité même, si digne de notre respect. Nous juger impartialement nous-mêmes, et tout en reconnaissant sincèrement ce qui manque à notre valeur morale, rendre hommage à la grandeur de notre destination, voilà le devoir envers soi-même que contient ce principe fondamental : « Connais-toi toi-même. »

De la confusion qui consiste à prendre des devoirs envers soi-même pour des devoirs envers d’autres êtres.

Il y a certains devoirs qu’on prend ordinairement pour des obligations envers d’autres êtres, mais qui ne sont au fond que des devoirs envers nous-mêmes 1[1]. Parce que ces devoirs envers soi-même sont en effet relatifs à d’autres êtres, on a cru que ce sont des devoirs envers ces êtres mêmes. Mais, selon Kant, à en juger d’après la seule raison, l’homme n’a de devoirs qu’envers l’homme, c’est-à-dire envers lui-même ou envers ses semblables. On parle souvent, il est vrai, de devoirs envers Dieu ; mais comment admettre des devoirs envers un être qui est placé en dehors des limites de notre expérience, et dont la relation avec nous échappe entièrement aux prises de notre entendement ? Il y a bien ici un devoir : celui de considérer tous nos devoirs comme des commandements de Dieu ; mais ce devoir, le seul devoir religieux que la philosophie puisse nous prescrire, n’est pas un devoir envers Dieu : c’est un devoir envers nous-mêmes. C’est en effet remplir un devoir envers soi-même que de joindre à l’idée de la loi morale celle d’un être tel que Dieu, puisque cette dernière a une utilité morale dont on ne saurait se passer. « Dans le sens pratique, dit Kant 2[2], il peut être vrai de dire que la religion est un devoir de l’homme envers lui-même. » — Quant aux êtres qui sont

  1. 1 L’examen de ce point constitue, dans la Doctrine de la vertu, une section épisodique (§ 16-18), à laquelle Kant donne pour titre : De l’amphibolie des concepts moraux de réflexion, qui consiste à prendre nos devoirs envers nous-mêmes ou envers les autres hommes pour des devoirs envers d’autres êtres. Trad. franç., p. 108.
  2. 2 P. 111.