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ANALYSE CRITIQUE

Des devoirs d’amour.

Que nous trouvions les autres hommes dignes ou non de notre amour, notre devoir est de faire pour eux ce que nous voudrions qu’ils fissent pour nous 1[1]. « Je veux, dit Kant 2[2], que chacun soit bienveillant à mon égard ; je dois donc être bienveillant à l’égard de chacun. » Cette loi ne se fonde pas seulement sur un calcul d’intérêt bien entendu, mais sur l’idée du rapport des hommes tel que la raison nous le fait concevoir ; et c’est justement là ce qui en fait un principe obligatoire. Il est tout naturel que l’on se veuille du bien à soi-même ou que l’on s’aime ; cela est même si naturel qu’il serait ridicule de vouloir l’ériger en devoir ; mais à quelle condition cela est-il légitime ? À la condition que, tout en me voulant du bien à moi-même, j’en veuille aussi à tous les autres. Autrement ma maxime étant restreinte au bien de ma personne et excluant celui des autres ne pourrait être considérée comme une loi générale. L’égoïsme est donc contraire à la loi de la raison ; celle-ci veut que ma bienveillance s’étende de moi à mes semblables et les embrasse tous, d’où le devoir de bienveillance universelle qu’exprime si admirablement la maxime : Aime ton prochain comme toi-même. Mais, dira-t-on, comment puis-je aimer mes semblables autant que moi-même ? Ne suis-je pas de tous les hommes celui qui me touche le plus, et n’est-il pas contradictoire d’exiger que j’aime les autres autant que moi ? Kant répond : je puis vouloir également du bien à tous les hommes, sans acception de ma personne ; mais je ne puis pas ne pas admettre de différence dans ma manière d’agir. Autre chose est la bienveillance qui n’est que le désir de voir les hommes heureux, et qui, n’agissant pas, peut porter sur les autres tout aussi bien que sur nous-mêmes ; autre chose la bienfaisance qui se manifeste par des actes et pour qui les autres ne peuvent venir qu’après nous.

De la bienfaisance.

Il n’est pas même évident de soi que la bienfaisance, qui ne consiste plus seulement, comme la bienveillance, à souhaiter du bien à tous les hommes, mais à se proposer pour but leur bonheur, soit un devoir. Il semble d’abord que la maxime : a Chacun pour soi, Dieu pour tous, » soit plus

  1. 1 §§ 26-28, p. 122-125.
  2. 2 P. 128.