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DE LA DOCTRINE DE LA VERTU.


n’ose puiser largement à la source proscrite, et les résultats auxquels il aboutit trahissent souvent l’insuffisance des procédés qu’il a suivis. Mieux eût valu, tout en conservant à la morale le caractère rationnel qu’elle doit avoir et qu’elle ne perdrait pas impunément, ne pas craindre de lui donner pour fondement une large et profonde psychologie. C’est que la méthode qui convient à cette science n’est pas simple, mais complexe : elle est tout ensemble rationnelle et psychologique. La forme mathématique que Kant cherchait, mais n’a pas réussi à lui donner, peut séduire certains esprits par une apparence de simplicité et de rigueur, mais elle a le tort d’être illusoire ou dangereusement abstraite.

Voyez, par exemple, cette analyse des prédispositions naturelles de notre âme en matière de moralité, qu’il croit devoir placer en tête de son éthique 1[1]. Ce n’est plus ici de la métaphysique, mais de la psychologie. Kant sent bien qu’il est impossible de séparer, dans la morale, les deux éléments que la nature a indissolublement unis en nous, la raison et la sensibilité, et il se voit contraint de sortir du cercle étroit des abstractions métaphysiques et de descendre à son tour dans le champ de la vie psychologique. Où en effet a-t-il trouvé, si ce n’est dans l’observation de la nature humaine, tout ce qu’il nous dit ici du sentiment moral, de la conscience, de l’amour des hommes, du respect de la dignité humaine ? Malheureusement ses excursions dans ce champ se sentent toujours un peu de son point de départ : on dirait qu’il a peur d’être accusé de contravention à ses propres lois. Et pourtant, malgré les entraves de sa méthode, on retrouve dans ces pages, où la psychologie se fait jour à travers la métaphysique, cette profondeur d’investigation et cette finesse d’observation qu’il possédait aussi au plus haut degré. Il n’y a qu’un point où son analyse me paraisse en défaut : on ne saisit pas bien le rôle qu’il attribue à la conscience dans l’ensemble des dispositions morales de notre nature. Elle est pour lui autre chose que le sentiment moral, puisqu’il lui donne une place à part ; mais, si elle ne se confond pas avec ce sentiment, il faut qu’elle désigne la raison pratique, et c’est en effet la définition qu’en donne ici notre phi-

  1. 1 Plus haut, p. x-xii.