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ANALYSE CRITIQUE


corps ; les lois morales n’obligent-elles pas également tous les hommes, quelque opinion qu’ils adoptent sur cette question transcendante ? Il faut donc chercher ailleurs le principe de la division de nos devoirs envers nous-mêmes. Or, quelles que soient la nature de l’âme et du corps et leur distinction substantielle, on ne peut nier que l’homme ne présente un double aspect, selon qu’on envisage en lui l’être animal y c’est-à-dire les fonctions qui lui sont communes avec les animaux, ou l’être purement moral, c’est-à-dire les facultés qui n’appartiennent qu’à lui. C’est à ces deux points de vue que nous devons nous placer pour déterminer nos devoirs en vers nous-mêmes. Peut-être trouvera-t-on que Kant s’effraye un peu trop de certains mots consacrés par la langue vulgaire ; mais l’idée qu’il poursuit est excellente ; et, s’il bannit ces mots, c’est pour mieux éviter toute équivoque.


Il est inutile de rappeler comment, divisant à son tour en devoirs parfaits et devoirs imparfaits 1[1] chacune des deux catégories de devoirs qu’il vient de distinguer, il est conduit à traiter sous le titre de devoirs parfaits de l’homme envers lui-même, en tant qu’être animal, du suicide, de l’im pudicité et de l’intempérance. Sur la question de suicide 2[2], il combat la doctrine stoïcienne, mais en retournant contre elle

  1. 1 Kant n’oublie-t-il pas ici qu’il s’est déjà servi de ce caractère pour distinguer les devoirs de vertu des devoirs de droit ? Voici maintenant que parmi les devoirs de vertu il distingue une obligation stricte et une obligation large. On pourrait rappeler aussi que, dans la Doctrine du droit, il avait distingué un droit strict et un droit large ou d’équité (voyez mon analyse critique de cet ouvrage, p. xiv), Mais, pour ne parler ici que de la première difficulté, Kant pourrait répondre que la vertu, dans ce qu’elle a de positifs n’implique en effet toujours qu’une obligation large, et que les devoirs parfaits dont il s’agit ici ne sont que des défenses. Il faut bien en convenir d’ailleurs, et j’en pourrais donner bien d’autres exemples, les distinctions établies par Kant expriment souvent une idée juste ; mais souvent aussi, à force de vouloir être précise, son analyse finit par n’être plus exacte, et sa subtilité même le fait tomber en des contradictions qui lui échappent. C’est qu’on aura beau faire, on n’arrivera jamais à donner aux sciences morales la précision à la fois et l’exactitude des sciences mathématiques.
  2. 2 Plus haut, p. xx.