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AVANT-PROPOS


bonheur, et le souverain bien ne peut consister pour lui que dans l’union de la vertu et du bonheur. Mais cette union n’est pas de celles que l’on connaît analytiquement, car bonheur et vertu sont des choses hétérogènes et ne peuvent être liés, d’une manière synthétique, comme l’effet est uni à la cause, que grâce à l’intermédiaire « de l’auteur intelligible de la nature » et dans un monde intelligible (1)[1]. Ainsi le concept du souverain bien, « objet et but final de la raison pratique » nous fait postuler l’existence d’un Dieu qui sera rémunérateur et proportionnera le bonheur au mérite. — La morale, par conséquent, nous conduit à la religion, en nous enseignant la manière de « nous rendre dignes du bonheur », et c’est uniquement quand à sa doctrine s’ajoute la religion « qu’entre en nous l’espérance de participer au bonheur dans la mesure où nous aurons essayé de n’en être pas indignes (2)[2]. Or, c’est dans le Christianisme que se présente à nous, dans sa pureté absolue, non seulement la doctrine morale, mais encore un concept du royaume de Dieu, c’est-à-dire du souverain bien, seul capable de satisfaire aux « exigences les plus rigoureuses de la raison pratique (3)[3] ». « On peut, sans hypocrisie, répéter en toute vérité de la doctrine de l’Évangile, qu’elle a la première, par la pureté du principe moral, mais en même temps par sa convenance avec les limites des êtres finis, soumis toute la conduite de l’homme à la discipline du devoir (4)[4] » qui se ramène tout entier à ces deux préceptes immortels : « Vous aimerez Dieu et votre prochain. »

La morale et la religion ne sauraient donc avoir un objet différent. Dès qu’il agit moralement, l’homme agit aussi religieusement, s’il se regarde, en accomplissant son devoir, comme obéissant aux ordres de Dieu, et la religion,

  1. (1) Loc. cit., pp. 204-10.
  2. (2) Id., p. 236.
  3. (3) Id., p. 233.
  4. (4) Id., p. 164.