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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

le Maître moral du monde coopère avec lui ou a tout disposé pour rendre cette fin possible, et dès lors devant nous s’ouvre l’abîme d’un mystère : nous ne connaissons pas ce que Dieu accomplit ici, si nous pouvons lui prêter un rôle quelconque, ni ce que nous devons lui attribuer (à Dieu) en particulier, puisque la seule chose qui nous soit connue en chaque devoir, c’est ce que nous avons à faire par nous-mêmes pour mériter ce supplément qui pour nous demeure inconnu, ou du moins incompréhensible.

Cette idée d’un Maître moral du monde est un problème dont s’occupe notre raison pratique. L’important pour nous n’est pas de savoir ce qu’est Dieu en lui-même (dans sa nature), mais ce qu’il est pour nous en tant qu’êtres moraux ; il est vrai qu’eu égard à cette relation nous devons concevoir et admettre en Dieu, comme choses essentielles à sa nature, les attributs qui, sous ce rapport-là, lui sont indispensables, dans leur perfection absolue, pour l’exécution de sa volonté (tels que l’immutabilité, l’omniscience et la toute-puissance, etc.), et qu’en dehors de cette relation nous ne pouvons rien connaître de lui.

Or. en vertu de ce besoin particulier à la raison pratique, la véritable foi religieuse universelle est la foi un Dieu : 1o créateur tout-puissant du ciel et de la terre, c’est-à-dire législateur saint, au point de vue moral ; 2o conservateur du genre humain qui régit les hommes avec bienveillance et veille sur eux comme un père (moralischen Versoger) ; 3o gardien de ses propres lois saintes et, par conséquent, juste juge.

Cette foi, à vrai dire, ne renferme point de mystère, n’étant que la simple expression des rapports moraux qui existent entre Dieu et le genre humain ; elle vient d’ailleurs s’offrir d’elle-même à n’importe quelle humaine raison, et c’est ce qui fait qu’on la trouve dans la religion de la plupart des peuples civilisés[1]. Elle est impliquée (er liegt)

  1. Les prophéties des livres saints qui décrivent la fin des choses