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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

dans l’idée (dem Begriffe) d’un peuple considéré comme une république, car ces trois pouvoirs supérieurs doivent constamment y être conçus ; il y a cette différence qu’en ce qui nous occupe nous prenons les choses moralement ; aussi pouvons-nous concevoir la triple qualité du souverain moral du genre humain comme étant réunie dans un seul et même Être, alors que dans un État juridico-civil ces attributs devraient nécessairement être répartis entre trois sujets différents[1]

    nous parlent d’un juge du monde (qui reconnaîtra comme siens et rangera sous sa domination, après les avoir séparés des autres, ceux qui feront partie du royaume du bon principe), et nous le représentent non comme Dieu, mais bien comme le Fils de l’homme. Cette appellation qu’ils emploient semble indiquer que l’humanité elle-même, consciente de ses bornes et de sa faiblesse, voudra procéder à ce choix (in dieser Auswahl den Anspruch tun werde) ; ce qui nous présage une bienveillance dont pourtant la justice n’aura pas à souffrir. ― Au contraire. le juge des hommes, si nous l’envisageons dans sa divinité, c’est-à-dire comme l’Esprit-Saint qui parle à notre conscience par la loi que nous disons sainte ainsi que par les actes que nous nous imputons, ne peut être conçu que comme appliquant dans ses jugements toute la rigueur de la loi, puisque ignorant nous-mêmes absolument le degré d’indulgence que pourra nous valoir notre fragilité, nous n’avons sous les yeux que nos transgressions avec la conscience de notre liberté et des manquements au devoir qui sont pleinement notre faute, et que rien ainsi ne nous autorise à supposer de la bienveillance dans le jugement à porter sur nous.

  1. [On ne peut guère expliquer le motif qui a fait arriver tant de peuples anciens à se trouver ici du même avis si l’on n’admet que c’est là une idée inhérente à toute raison humaine et qui se fait jour dès qu’on veut concevoir le gouvernement d’un peuple et (par analogie) celui de l’univers. La religion de Zoroastre avait trois personnes divines : Ormuzd, Mithra et Ahriman ; la religion hindoue aussi : Brahma, Wischnou et Siva (il y a simplement cette différence que l’une fait de la troisième personne non seulement l’auteur du mal regardé comme châtiment, mais encore du mal moral qui mérite à l’homme ce châtiment, tandis que la seconde se borne à la représenter comme jugeant et punissant). La religion des Égyptiens avait aussi ses trois personnes : Phta, Kneph et Neith, qui, autant que l’obscurité des documents relatifs aux plus anciens temps de ce peuple nous permet de le deviner, devaient représenter l’une l’esprit distinct de la matière, en tant que créateur du monde, l’autre la bienveillance conservatrice et dirigeanle, l’autre enfin la sagesse limitant cette bienveillance, ou autrement dit la justice. La religion des Goths adorait Odin (Père de l’univers), Freia (ou Freier, la bonté) et Thor, le Dieu qui juge (qui châtie). Même les Juifs paraissent avoir adopté ces