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AVANT-PROPOS


sens : tout au plus a-t-elle le droit de hasarder des hypothèses, quand elle y croit trouver son avantage. Mais la raison n’a pas uniquement à considérer ce qui est ; son véritable office est, au contraire, de nous servir de guide en déterminant ce qui devra être ; en allant au fond on verrait que même la spéculation a pour condition un besoin pratique. Or, dans cette tâche nouvelle, rien ne gêne plus la raison qui peut se fier à ses propres forces et s’élever jusqu’au transcendant. Elle se saisit d’abord elle-même pour atteindre ensuite son Créateur, l’Être parfait, qui voit tout, qui peut tout, qui est éternel et présent partout. Sa certitude au sujet de cet Être est aussi absolue qu’au sujet d’elle-même Quoique d’un autre ordre, elle égale et même dépasse celle où nous menait la science. Il faut cependant reconnaître qu’elle ne saurait se communiquer, puisque c’est au fond de lui-même que tout homme doit la chercher, tandis que la connaissance est communicable au moyen de l’intuition. Mais conviction subjective n’est pas conviction arbitraire et l’on peut penser que tout homme doit y arriver infailliblement, s’il la recherche avec sincérité. Le fait même que la science, dont l’intuition n’est qu’un élément, doit être commune à tous les esprits, nous indique que la Raison se trouve identique dans tous les hommes et doit mener aux mêmes conclusions dans son usage pur pratique. Bien que subjective dans son essence, la foi morale est ainsi susceptible d’être envisagée objectivement, ce qui nous conduit à la religion. Or, ce qui distingue de la morale la doctrine religieuse, c’est, d’une part, la considération de la loi subjective comme hypostasiée en Dieu, et, d’autre part, la satisfaction accordée, grâce à l’intermédiaire de Dieu, à l’autre élément de la sensation, au côté affectif de notre nature complexe, qui réclame un bonheur parfait. La raison ici cesse d’agir seule, et la fière doctrine qui, dans la pratique, lui faisait dire : on doit accomplir le devoir sans espoir de la récompense, devient et moins âpre et plus conso-