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AVANT-PROPOS


facile d’apercevoir la parfaite unité de la pensée de Kant. Nous l’avons vu, dès ses premiers ouvrages, s’occuper surtout de métaphysique, et, convaincu de l’accord nécessaire entre la raison et la foi, chercher à prouver dogmatiquement les vérités religieuses fondamentales. Quand, sous l’influence de Hume, il dut reconnaître notre impuissance à démontrer spéculativement les thèses par lesquelles sont affirmées l’existence de Dieu, la liberté et l’immortalité, au lieu de tomber dans le scepticisme, il se mit en quête d’une autre voie qui pût le conduire aux mêmes objets dont la réalité ne faisait pour lui aucun doute. Dans les Songes d’un visionnaire, il entrevoit déjà la méthode nouvelle et il nous donne en raccourci ce que ses ouvrages ultérieurs auront pour but d’exposer en détail. Raison théorique et raison pratique, monde sensible et monde intelligible, rapports du bonheur et de la vertu, tout se trouve en germe en ces quelques pages. Désormais sa vie tout entière sera vouée à l’établissement de la véritable métaphysique et à la justification de la suffisance de la Raison. Kant est en effet un rationaliste pour qui la raison doit suffire à tout, parce que la raison est, sinon tout l’homme, du moins sa partie essentielle. Si nous étions de purs esprits, nous pourrions voir par intuition la substance même des choses. Malheureusement, dans ce monde, notre raison est prisonnière et doit compter avec le corps. Pour connaître ce qui existe, elle a besoin de consulter les sens et d’organiser leurs données ; l’élément représentatif de la sensation lui fournit la matière de la science, et elle ne peut rien connaître qu’en partant de l’intuition. Et comme notre intuition se limite au monde des phénomènes, en tant qu’elle collabore avec elle, la raison de l’homme ne pourra pas franchir les limites du phénomène. Il n’y aura donc de science que du monde phénoménal, et, dans l’usage théorique, toujours asservi aux données sensibles, la raison devra s’abstenir de rien affirmer ou de rien nier de ce qui échappe aux prises des