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COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

une qualité qui puisse être déduite du concept de l’espèce humaine (du concept d’homme en général), car elle serait alors nécessaire, mais que, tel qu’on le connaît par l’expérience, l’homme ne peut pas être jugé différemment, ou qu’on peut supposer le penchant au mal chez tout homme, même chez le meilleur, comme subjectivement nécessaire. Or, comme ce penchant doit être lui-même considéré comme moralement mauvais et que, par suite, on doit y voir non pas une disposition physique, mais quelque chose qui puisse être imputé à l’homme ; comme il doit consister conséquemment dans des maximes du libre arbitre contraires à la loi, et que, d’autre part, ces maximes, en raison de la liberté, doivent être tenues pour contingentes en elles-mêmes ― ce qui, de son côté, ne saurait s’accorder avec l’universalité de ce mal, à moins que le principe suprême subjectif de toutes les maximes ne soit, peu importe comment, étroitement uni avec l’humanité et comme enraciné dans elle nous pourrons nommer ce penchant un penchant naturel au mal, et puisque il tant toujours pourtant que ce penchant lui-même soit coupable, nous pourrons l’appeler dans la nature humaine un mal radical et inné (dont nous sommes nous-mêmes la cause néanmoins).

Qu’il y ait, enraciné dans l’homme, un penchant dépravé de cette espèce, nous pouvons bien nous dispenser d’en faire la démonstration formelle, étant donnée la multitude d’exemples frappants que l’expérience étale devant nos yeux dans les faits et gestes des hommes. Veut-on emprunter ces exemples à l’état dans lequel plusieurs philosophes espéraient rencontrer par excellence la bonté naturelle de la nature humaine et qu’on a nommé l’état de nature ? Il suffit, en ce cas, de comparer avec l’hypothèse en question les scènes de froide cruauté qu’offrent les carnages de Tofoa, de la Nouvelle-Zélande, des Iles des Navigateurs, et aussi les massacres incessants qui se com-