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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

tement cette loi en la considérant comme un mobile suffisant (comme le seul qui soit inconditionnellement bon, ce qui lève tous les scrupules), l’homme s’est encore cherché d’autres mobiles (III, 6), qui ne peuvent être bons que conditionnellement (c’est-à-dire en tant qu’ils ne causent aucun préjudice à la loi), et a pris pour maxime, dans les actes accomplis consciemment et qui proviennent de la liberté, de suivre la loi du devoir non par devoir, mais toujours aussi par d’autres considérations. Il a donc commencé par mettre en doute la rigueur du commandement moral qui exclut l’influence de tout autre mobile, puis, grâce à des raisonnements subtils, il a fait de l’obéissance à ce commandement un moyen simplement conditionné (au service du principe de l’amour de soi)[1]; ce qui enfin l’a conduit à donner la prépondérance aux impulsions sensibles sur le mobile de la loi dans la maxime de ses actes et à consommer ainsi le péché (III, 6). Mutato nomine de te fabula narratur. C’est là ce que nous faisons tous les jours; on peut donc voir, d’après ce qui précède, que « nous avons tous péché en Adam » et que nous continuons de pécher ; la seule différence qui existe entre les deux fautes, c’est qu’un penchant inné nous porte déjà à la transgression, alors que rien de tel ne se rencontrait dans le premier homme en qui l’innocence est présupposée, quant au temps, et dont la transgression par suite s’appelle une chute dans le péché, tandis que chez nous cette transgression est repré-

  1. Toutes les protestations de respect qu’on adresse à la loi morale, sans lui accorder cependant, à titre de mobile suffisant par lui-même, la prépondérance dans sa maxime sur tous les autres principes de détermination du libre arbitre, sont une hypocrisie, et le penchant qui y pousse les hommes est une hypocrisie interne, c’est-à-dire un penchant à vouloir se tromper au préjudice de la loi morale dans l’interprétation de cette loi (III, 5) ; c’est aussi pour cela que la Bible (portion chrétienne) nomme menteur dès le commencement l’auteur du mal (qui réside en nous-mêmes), par quoi elle caractérise l’homme relativement à ce qui semble être le principe fondamental du mal en lui.