Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

sentée comme étant la suite de la méchanceté déjà inhérente à notre nature. Parler de ce penchant, c'est tout simplement vouloir dire que lorsque nous entreprenons l'explication du mal, quant à son commencement dans le temps, nous sommes obligés de poursuivre les causes de chaque transgression préméditée dans une époque antérieure de notre vie, de remonter jusqu'à l'époque où l'usage de la raison n'était pas encore développé chez nous et d'aboutir par suite à un penchant au mal qui (existant en nous comme un fonds naturel [als natürliche Grundlage]) est appelé inné et contient la source du mal; ce procédé n'est ni nécessaire, ni praticable quand il s'agit du premier homme qui est représenté comme déjà complètement doué de l'usage de sa raison, parce qu'autrement ce fonds qu'est le penchant au mal devrait avoir été mis en lui par son créateur (gar anerschaffen); c'est pour cela que le péché du premier homme est posé succédant immédiatement à l'état d'innocence. — Mais comme nous ne devons pas chercher d'origine temporelle à un caractère moral qui doit nous être imputé, quelque inévitable que soit une telle recherche pour en expliquer l'existence contingente (ce qui prouve aussi que c'est probablement pour s'accommoder à notre faiblesse que l'Écriture a représenté comme on sait cette existence contingente).

Quant à l'origine rationnelle de ce détraquement de notre libre arbitre, qui se se manifeste dans la manière dont il met en première ligne, dans ses maximes, les principes subordonnés, quant à l'origine rationnelle de ce penchant au mal, elle demeure impénétrable pour nous parce qu'elle doit nous être imputée elle-même et que, par conséquent, ce principe fondamental de toutes les maximes nécessiterait à son tour l'adoption d'une maxime mauvaise. Le mal n'a pu dériver que d'un fonds moralement mauvais (et non pas des simples limitations de notre nature) ; et cependant le fonds originel de l'homme (que nul autre que lui n'a pu cor-


Kant. — Religion. 4