Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/147

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de Sophie-Antoinette, qui tâchait d’enfreindre ainsi son interdiction. Elle entra dans une colère comme elle n’en avait jamais eu, et ordonna durement de ne pas permettre à Caroline de franchir le seuil de sa porte. Au premier moment, Aurore fut bouleversée et peinée à la vue de cette colère qu’elle n’avait jamais rencontrée dans sa grand mère, mais, quand elle entendit derrière la porte les sanglots de Caroline blessée et humiliée, elle en fut désespérée, fondit en larmes et s’élança vers la porte. Hélas, il était trop tard ; la pauvre enfant était déjà partie. Rose essaya de calmer Aurore, mais elle pleurait elle-même et suppliait l’enfant de cacher à sa grand’mère son chagrin, qui ne ferait que l’irriter. L’aïeule rappela sa petite-fille, mais celle-ci, pour la première fois de sa vie, désobéit et résista. Julie, qui jouait toujours le rôle de domestique espionne et rapporteuse, se mêla de l’affaire et ne fit, comme toujours, qu’aggraver le malentendu et les griefs mutuels. Aurore s’endormit encore toute en larmes, délira pendant la nuit, et le lendemain matin, malgré les caresses et les cadeaux que lui prodigua la grand’maman, elle n’avait rien oublié. Cette secousse morale compliqua d’une fièvre nerveuse la rougeole qui s’était déjà déclarée chez elle. La grand’mère s’aperçut qu’il fallait user de prudence envers sa petite-fille ; elle était trop intelligente et trop bonne pour persévérer dans sa première résolution. Dès qu’Aurore fut rétablie, elle la mena elle-même chez sa mère et sut, par quelques paroles adroites et pleines de douceur, désarmer la colère de Sophie qui semblait être à son paroxysme. À partir de ce jour, Aurore, qui n’avait vu jusque-là sa mère que chez son aïeule ou à la promenade, obtint la permission d’aller chez elle et de jouer