Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/177

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observation particulièrement sensible à la fillette, Aurore quitta brusquement la chambre en jetant ses livres par terre et en s’écriant : « Eh bien, oui, c’est vrai, je n’étudie pas, parce que je ne veux pas. J’ai mes raisons. On les saura plus tard ». Elle faisait évidemment par là une nouvelle allusion à son intention de partager un jour la modeste destinée de sa mère, pour laquelle, pensait-elle, toutes les sciences étaient inutiles et superflues. Julie, la favorite de la grand’mère, reprocha à l’enfant d’être ingrate et mauvaise, la menaça du courroux de l’aïeule et d’être renvoyée chez sa mère. Aurore lui déclara tout net que c’était là justement ce qu’elle désirait le plus au monde et demanda à Julie de le répéter sans scrupule à sa grand’mère. Julie s’empressa, en effet, de tout rapporter à Marie-Aurore, en ne se privant pas du plaisir d’orner, à sa guise, la scène qui venait d’avoir lieu. La grand’maman en fut vivement courroucée et blessée au cœur. Aurore fut prévenue de ne plus se montrer à ses yeux. Toutes les leçons furent interrompues, aucune surveillance ne fut plus exercée sur la jeune fille. Cela voulait dire, que si Aurore ne voulait pas se conformer au genre de vie et d’éducation que sa grand’mère considérait comme nécessaire, elle n’avait qu’à vivre comme elle l’entendrait. Pendant quelques jours, l’enfant ne ressentit aucun embarras à jouir si soudainement d’une liberté illimitée ; elle passait des journées entières dans les champs avec ses amis villageois, déjeunait et dînait seule, après que sa grand’mère avait quitté la salle à manger, ne faisait que ce qu’elle voulait. Mais au bout de quelques jours, cette vie solitaire commença à lui peser. Rose, qui comprenait que cet ordre de choses ne pouvait durer, ni aboutir à rien de bon, et que le malentendu qui régnait entre l’aïeule et l’enfant ne faisait que