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lution. Marie-Aurore fit ensuite entrer dans sa chambre tous les gens de la maison et du village, demanda pardon à tous et reçut devant eux les derniers sacrements. Mais comme elle possédait à fond le latin, elle commentait à sa manière les paroles du prêtre, disant tantôt : « Je crois à cela », tantôt : « Il importe peu ». Elle avait l’air de vouloir conserver par là son droit à la liberté de conscience ; même dans un moment aussi solennel elle restait fidèle à ses convictions et aux libres croyances de toute sa vie. Le vicomte d’Haussonville a bien raison de croire que cette scène a dû laisser dans l’âme sensible de la jeune fille une empreinte ineffaçable et ébranler en elle les préceptes catholiques, qui lui furent inculqués au couvent. Ce régime catholique avait duré trop peu de temps et avait été trop superficiel pour pouvoir jeter des racines bien profondes dans l’âme d’Aurore, qui avait grandi en dehors de toute doctrine religieuse, et qui trouvait maintenant, dans cette période de doutes et de réflexions, l’Église orthodoxe représentée par des serviteurs aussi ineptes : un prélat stupide, un prêtre de petite ville manquant de tact, et un rustique curé de village tout craintif devant sa docte et noble fille spirituelle.

Avant le départ de Monseigneur l’archevêque, il se passa encore des choses qui lui firent définitivement perdre tout ascendant aux yeux d’Aurore. Ainsi, par exemple, il entra dans la bibliothèque de sa soi-disant belle-mère et s’occupa de brûler et de mettre en pièces les livres, dont la lecture lui paraissait nuisible. Heureusement, Deschartres, qui, en sa qualité de régisseur et de maire de Nohant, devait veiller aux intérêts des membres de sa commune, arriva à temps pour arrêter ce vandalisme.

Ainsi, par gradations insensibles, par un enchaînement d’événements, de faits, de réflexions et de sentiments,