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« Au total, la journée m’a paru mortelle, jusqu’à Chlupon qui faisait des bâillements à se démettre la mâchoire.

« Il est inutile d’ajouter des réflexions à ce récit. Vous savez trop celles que je ferais. Mais ce que je dois vous dire et ne jamais me lasser de vous redire, cher René, c’est que je n’oublierai de ma vie le service que vous m’avez rendu, le sacrifice que vous m’avez fait, la preuve d’amitié que vous m’avez donnée et la reconnaissance que je vous dois. J’ai fait des vœux toute la journée pour que vous eussiez bon voyage. Vous voyez que le ciel a exaucé ma prière et qu’il fait tout exprès pour vous le plus beau temps du monde.

« Adieu ! Adieu ! je dors ; mes yeux s’appesantissent, j’écris à tâtons, mais les mots de tendresse et de reconnaissance éternelle se trouvent tout naturellement sous ma plume.

« À mardi matin.

« Tonton Chedartres[1] est à vos pieds, la petite mère dit que vous êtes un joli homme et la tante, voulant vous sourire, fait une grimace épouvantable. »

Comme elle ne cessait pas cependant d’aimer sa mère, elle déclara, en voyant la sincérité de son chagrin, qu’elle se soumettrait à sa volonté et qu’elle la suivrait où elle voudrait la mener.

En faisant cette déclaration, Aurore savait parfaitement ce qu’elle perdait et à quoi elle renonçait. Elle était, comme nous l’avons vu, très liée avec René de Villeneuve ; elle partageait aussi les goûts et les habitudes de sa fille Emma, plus tard comtesse de la Roche-Aymon. Si Aurore

  1. Altération plaisante et amicale du nom de Deschartres.