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femme, personne n’y aurait reconnu une dame ; mais elle s’habillait en simple bourgeois de l’époque. La mode du temps facilitait ce travestissement. « Les hommes portaient de longues redingotes carrées dites à la propriétaire, qui tombaient jusqu’aux talons et qui dessinaient si peu la taille » que le frère d’Aurore, Hippolyte, avait dit en riant : « le tailleur prend mesure sur une guérite et ça irait à ravir à tout un régiment ». Aurore endossa donc une « redingote-guérite », se noua une grosse cravate en laine, se fit couper ses boucles noires jusqu’aux épaules, et mit un chapeau de feutre mou.

George Sand nous dit avec raison que, même sur le théâtre, les femmes ne trahissent leur sexe que par leur trop grand désir de plaire et de faire impression ; mais comme le meilleur moyen pour une femme, qu’elle soit habillée en homme ou en femme, pour passer inaperçue, est de sacrifier l’éclat de ses yeux, ce déguisement lui réussit parfaitement. Sans attirer l’attention de personne, elle put courir les rues, fréquenter les cafés, les cabarets, aller aux places à bon marché au théâtre, prendre part aux réunions des clubs républicains et des Saints-Simoniens, visiter les ateliers des peintres et les musées, gravir les tours de Notre-Dame et assister aux conférences des sociétés savantes, en un mot, aller partout avec les trois ou quatre amis berrichons, qui composaient son cénacle pendant les premiers mois de son séjour à Paris. C’étaient Félix Pyat, Jules Sandeau et de Latouche[1], auxquels se joignaient parfois Charles Duvernet et Alphonse Fleury, surnommé par eux « le Gaulois » ou « le Germanique ».

  1. Alexandre Hyacinthe Thabaud de Latouche, né en 1785 à La Châtre, mort à Aulnay en 1857 ; journaliste, poète lyrique et dramatique et romancier, il fut le fondateur du Figaro et s’est surtout rendu célèbre