Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/346

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de fortune pour prendre des loges trop coûteuses, accompagnaient leurs maris au spectacle en costume d’homme, sans aucune prétention au « féminisme » ni à l’émancipation. Non loin de Nohant, demeurait une jeune comtesse avec son père ; elle portait des vêtements d’homme pour chasser le lièvre, et c’est ce qui avait inspirée Deschartres l’idée de conseiller à Aurore d’en porter aussi pour aller à la chasse. D’ailleurs Mme Dudevant avait déjà revêtu tant de fois ce costume dans la vie et sur la scène, qu’elle trouvait maintenant tout naturel de l’adopter sans rien vouloir « prouver » par là, mais tout simplement pour faire des économies et parce qu’elle le trouvait pratique. De nos jours, quand les hommes portent les cheveux coupés ras et que tous s’habillent uniformément en frac ou en veston, en culotte étroite et en chapeaux de haute forme, ce qui, selon l’expression d’un écrivain d’esprit, leur donne à tous un air de « piteux ramoneurs » — une femme habillée en homme serait aussitôt reconnue, comme Mme Dieulafoi qui se fait trop remarquer en frac, avec sa boutonnière décorée. Il n’en était pas ainsi à Paris, en 1830. On était alors en plein romantisme. Il suffit de lire la description de la maison La Chilpéric et de ses habitants dans les Mémoires d’un Anglais à Paris[1] pour se faire une idée des costumes extravagants, moyen-âgeux ou fantastiques, des coiffures impossibles et des chapeaux étranges, que portaient Les jeunes poètes et les artistes du quartier latin. C’était une mascarade permanente. Si Aurore se fût même costumée en Raphaël — cheveux jusqu’aux épaules et béret à larges bords — ou quelque autre costume historique, commode pour une

  1. Un Anglais à Paris. Notes et souvenirs. Ier vol. (1835-1848), IIe vol. (1848-1871). Paris, Plon. 1894.