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prisons, où ne pénétrait nulle consolation ; mais, en même temps, leurs feux pernicieux dévorèrent les temples paisibles de l’innocence[1] ». Les deux moitiés de cette phrase s’appliquent aux deux camps dont nous venons de parler. Pour les uns, Georges Sand est précisément « la lumière des prisons », un grand poète, l’éducatrice de l’humanité moderne dans le sens le plus élevé de ce mot, le prophète inspiré d’un avenir meilleur, un génie, une sainte. Pour les autres, elle n’est qu’un objet d’horreur et de répulsion. Comme femme, c’est la mère de tous les vices ; comme écrivain, c’est la prédicatrice d’idées monstrueuses, de la corruption ou peu sans faut ; celle qui porte le trouble dans les cœurs purs, « l’incendiaire des sanctuaires de l’innocence, » une impie éhontée, une femme à idées subversives, une révolutionnaire. George Sand compte encore une autre catégorie d’ennemis ; ce sont, pour la plupart, ou les représentants de l’extrême réalisme, ou, au contraire, les adeptes de « l’art pour l’art ». Ceux-là laissent de côté sa vie personnelle et son influence sur les lecteurs ; mais, en revanche ses œuvres ne sont à leurs yeux qu’ennui mortel, qu’emphase, ou rhétorique sentimentale, ce que les Allemands appellent ein überwundener Standpankt, en un mot — du vieux jeu. Chateaubriand et Zola, Walsh[2] et Mazade, Capo de Feuillide et Nettement[3], des pléiades entières de critiques anglais, français, allemands et russes, Julien Schmidt à leur tête, et surtout les biographes de Musset, de Chopin et de Liszt, parlent exclusivement de « l’incendie des temples de l’innocence » ; ils accusent

  1. Lutetia, p. 298.
  2. George Sand, par le comte Théobald Walsh. Paris, 1837.
  3. Histoire de la littérature française sous le gouvernement de juillet, par Alfred Nettement. Paris, 1854.