Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/422

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mante que cela était inutile. Ce n’était pas une figure, c’était une physionomie, une âme. Elle était encore mince, et sa taille était un souple roseau qui semblait toujours balancé par quelque souffle mystérieux, sensible pour lui seul. Jules Sandeau la compara, ce jour-là, à la plume brisée qui ornait son chapeau. « Je suis sûr, disait-il, qu’on chercherait dans l’univers entier une plume aussi légère et aussi molle que celle qu’elle a trouvée. Cette plume unique et merveilleuse a volé vers elle par la loi des affinités, ou elle est tombée sur elle de l’aile de quelque fée en voyage…[1]. »

En lisant la lettre de George Sand, l’actrice s’était rappelée une lettre naïve et enthousiaste qu’elle avait écrite dans sa jeunesse à Mlle Mars et que celle-ci avait reçue froidement, bien qu’en l’écrivant, la jeune Dorval se fut sentie, pour la première fois, véritablement artiste. Devinant que la lettre d’Aurore avait été écrite par une vraie artiste aussi et ne voulant pas faire comme Mlle Mars, Marie Dorval était accourue dans sa mansarde. Depuis ce jour, l’amitié la plus cordiale lia les deux femmes[2]. George Sand a consacré à son amie un chapitre à part de l’Histoire de ma Vie[3]. Elle y raconte les souffrances et les déboires de cette malheureuse actrice trop impétueuse, ménageant trop peu ses forces sur la scène, de cette malheureuse femme trop sincère, ménageant trop peu son âme dans la vie réelle. Malgré la grandeur de son talent, elle n’a atteint ni à la richesse, ni à la gloire, avantages qui sont le lot d’actrices souvent plus froides, plus réservées. Toute sa vie était une alter-

  1. Histoire de ma Vie, vol. IV. p. 212-213.
  2. Une partie de leur correspondance fut trouvée parmi des papiers provenant de Jules Sandeau, avec des autographes d’Alfred de Vigny ; elle est conservée, mais ne semble pas devoir être publiée.
  3. Le chapitre qui lui est consacré porte même le titre de Marie Dorval, p. 205-237.