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publique que produisit la publication de la correspondance de Pouchkine. Que de gens se sont réconciliés avec notre grand poète, combien ont compris l’homme après la lecture du volume de ses lettres ! Que d’accusations contre lui sont tombées après l’apparition de celles qu’il écrivit à sa femme et à d’autres personnes, lettres remplies d’une amertume concentrée et d’une profonde douleur dissimulée, conséquence du joug qui pesait alors sur sa vie, tandis que jusqu’à leur publication, la plupart des lecteurs prétendaient que Pouchkine raffolait des grandeurs, qu’il aspirait à parvenir, et que, comme Gœthe, « il n’était et ne voulait être qu’un courtisan ». Ces lettres firent découvrir en lui un homme éclairé, un « esprit viril » (expression de Tourguéniew à propos de cette correspondance)[1] et cette opinion fut partagée par ceux-là même qui l’avaient hautement traité de « renégat » et de « rétrograde ». Mon Dieu, mais c’était un génie, conscient de lui-même, s’efforçant de se soustraire à la perdition pour ne pas étouffer et ne pas partager le sort de Poléjaïew et de Chewtchenko[2] ! S’il n’avait pas eu en lui cette force intérieure comme sauvegarde, ce n’est pas en 1837, mais en 1826 qu’il serait mort, et peut-être même plus tôt, étouffé, écrasé par les circonstances, par le « venin de la calomnie », par les amis, par les ennemis, par tous et par tout !

Qu’on nous pardonne si nous nous écartons en apparence de notre sujet ; nous ne le faisons que pour condamner encore une fois ceux qui s’opposent à la publication des lettres de qui que ce soit, et nous citerons à cette

  1. Collection complète des œuvres de Tourgueniew, Saint-Pétersbourg, 1883. F I. « Préface aux nouvelles lettres de Pouchkine à sa femme. »
  2. Deux poètes russes, qui ayant attiré sur eux la désapprobation de Nicolas Ier, furent condamnés à servir dans l’armée comme simples troupiers.